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LETTRE AUX AMIS – TOUSSAINT 2022

Madame, Monsieur, chers amis,

S’il est une réalité qui prend un relief particulier au cœur de l’actualité internationale, c’est bien la dimension essentielle de la force morale. Ainsi le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, le souligne-t-il expressément : « Les forces morales sont au cœur de l’efficacité opérationnelle. Elles ne sont pas quelque chose que l’on construit le jour où la guerre se déclenche. Elles doivent être prises en compte dès le départ. Elles doivent être pour nous une préoccupation de tous les instants. Faute d’avoir anticipé cette obligation nous serions promis à la défaite » (propos du premier semestre 2022).

La force morale représente toujours une condition majeure du succès. L’histoire démontre une réciprocité entre la force morale d’une nation et celle de ses armées qui se nourrissent mutuellement et constituent un élément essentiel de leur cohésion.

Le combat n’est pas en premier lieu militaire ou économique mais idéologique et plus encore spirituel. La guerre ne se fait pas d’abord avec des armes mais avec des hommes. Quelles sont nos valeurs ? Sommes-nous prêts à mourir pour elles ? Quel but ? Quel engagement ? Quel dépassement ?

Les aumôneries militaires occupent une place cardinale. Il s’agit de « servir la force d’âme » faute de quoi les hommes, les armées et les Nations se délitent. Le général de Gaulle le souligne dans ses mémoires : « Pour que les hommes fassent la guerre, il est nécessaire qu’ils se croient moralement obligés de la faire ».

Plus que jamais, nous avons besoin de donner du sens à nos actions et de préserver l’éthique militaire, incontestable boussole morale du soldat. Pour tenir, ces derniers ont besoin de se sentir accompagnés, écoutés, compris, soutenus.

En d’autres termes : « D’où venons-nous et où allons-nous ? »

Le socle de notre héritage culturel et spirituel porte les plus belles valeurs de liberté, de dignité, de fraternité, d’égalité … qui ont été déployées par le Christ. Il y a l’histoire de la révélation de Dieu au monde. Il y a l’histoire de l’humanité. Il y a l’histoire de notre pays, fondatrice dans ses pages de gloire et d’honneur comme dans ses passages d’ombres et de renoncements.

Il y a l’histoire des vies engagées, données… de ceux qui nous ont précédés et auxquels nous devons aujourd’hui d’être un peuple libre et digne. Et la grande histoire créée par la Vie et la Mort de chacun d’entre nous, dont le cœur bouleversant est élevé à incandescence par la condition militaire. Recevoir de son pays le pouvoir exorbitant d’engendrer la mort au risque de sa propre vie pour défendre ce que l’on estime primordial relève de l’âme, de l’absolu, de l’éternité. Qu’est-ce que la vie sans liberté, sans dignité ? Qu’est ce qui justifie de prendre la vie de l’autre ? D’engager la mienne ?

Un sous-officier a livré ce témoignage saisissant : « Si le soldat n’a plus d’idéal, ce n’est plus un soldat, c’est un mercenaire. Lorsque le soldat tombe au feu c’est avec honneur. La plupart des gens meurent pour rien. Ils disparaissent, et c’est tout. Alors que le soldat, dans la dynamique du sacrifice suprême du don de sa vie pour ses frères, entre dans une forme de transcendance dont l’histoire porte la mémoire ».

La vie, la mort et l’au-delà sont assurément les questions fondamentales de l’humanité. Alors que par le divertissement, nombre de contemporains les ignorent, le militaire au contraire y fait face avec constance. Ce défi quotidien confère à sa vocation profondeur et intensité. La confrontation à la mort n’intervient pas uniquement au moment du combat. Elle est anticipée et ne vous lâche pas lorsque l’action s’achève.

Il s’agit bien d’entrer dans une vision d’ensemble, holistique, qui inclue la force morale et spirituelle. La guerre, exacerbation des rapports de puissance, est une réalité complexe qui se prête mal au découpage disciplinaire. Seule une approche transversale permet de l’appréhender. Ainsi de l’actuel conflit à l’Est de l’Europe touchant simultanément de multiples dimensions :
politique, économique, militaire, historique, géographique, sociologique, juridique, technique, culturelle… La question est bien ici globale, et consubstantiellement spirituelle.

Au cœur de l’histoire humaine où autant les démons que les aspirations au meilleur resurgissent, les aumôneries ont pour mission d’apporter une force morale à la Nation et à son armée. Par une ouverture au sens et à la transcendance enracinées dans une identité claire. Par une vision théologiquement articulée des questions de la mort, de la vie et du salut éternel. Par une présence de profonde gratuité sans laquelle l’homme perd le sens de sa destinée.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, chers amis, l’expression de mon cordial et religieux dévouement.

+ Antoine de Romanet
Evêque aux Armées françaises