400 ans des Troupes de marine

A l’occasion de l’anniversaire des 400 ans des Troupes de marine et de la commémoration des combats de Bazeilles (31/08-01/09 1870), S.E. Mgr. Antoine de Romanet de Beaune s’est rendu à Fréjus accompagné du chanoine Jean-Marc Fournier, aumônier adjoint Terre et des aumôniers des Troupes de marine.

Après avoir visité le musée rénové des TDM, les aumôniers se sont retrouvés pour un apéritif et un dîner fraternel avant de se rendre à la cérémonie militaire aux arènes de Fréjus, tandis que notre évêque participait à un dîner officiel en présence du ministre des Armées et de l’ensemble des chefs d’état-major. Tous se sont ensuite réunis au mess du 21e Régiment d’infanterie de marine pour le traditionnel pot du marsouin.
Le 1er septembre, après l’accueil de l’urne contenant les reliques du marsouin inconnu de la compagnie bleue, la messe a été célébrée au sein du musée des Troupes de marine. Les aumôniers ont ensuite rejoint le repas de la famille coloniale qui rassemblait des représentants de l’ensemble des régiments et formations des TDM.

Homélie de la messe des 400 ans des TDM

Nous sommes dans ce musée des Troupes de marine et ce que nous avons sous les yeux met magnifiquement en valeur cette première lecture que nous venons d’entendre. Cette lecture qui est celle que toute l’Église universelle entend en ce premier jour de septembre. Paul aux Corinthiens nous dit « Tout vous appartient, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir, tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu. »

Le monde nous appartient. Dieu, créateur et maître de toutes choses, la remit entre nos mains. Ce monde est magnifique, fascinant : notre petite planète bleue portant la vie humaine au milieu de l’immensité de l’univers. Elle est à nous tous, en partage, dans une commune responsabilité de la famille humaine. Tout à l’heure, devant cette urne, dans ce paysage grandiose de cette sublime région, en voyant cette lumière extraordinaire qui baignait l’atmosphère, comment ne pas s’émerveiller devant cette création dans tous les aspects où elle s’offre à notre contemplation ? Ce musée où nous sommes illustre ce monde. Il illustre les combats des Troupes de marine qui, depuis quatre siècles, défendent le sol de France de par le monde.

S’il est une arme qui, par excellence, a la conscience de la globalité de notre monde, ce sont bien les Troupes de marine. Vertige de ce monde que Dieu confie à l’Homme, à sa liberté, à sa responsabilité. Magnifique combat porté par l’Évangile du Christ pour mettre l’Homme au centre de ce monde. L’Homme, tout l’Homme, tous les hommes. Le tout de l’Homme.

Depuis quatre siècles, sur toutes les mers, par tous les continents, les Troupes de marine défendent les valeurs les plus belles et les plus dignes de liberté, de dignité, de fraternité et d’égalité, déployées par le Christ et constituant le socle de notre héritage culturel et spirituel. Le sens d’un musée est de faire entrer dans l’histoire, dans sa profondeur, dans son épaisseur, dans sa complexité, dans ces pages de gloire et d’honneur, comme dans ces moments plus difficiles d’ombres ou de renoncements. Cette histoire est essentielle. Cette histoire est fondatrice. Il y a la grande histoire de l’humanité ; il y a l’histoire de la révélation de Dieu au monde, portée par la Bible, le Livre des livres. Il y a l’histoire de notre pays. Il y a l’histoire de chacune de nos vies.

L’histoire du monde est faite de l’histoire de chacune de nos vies. Tous ces visages, toutes ces notices, tous ces objets, tous ces souvenirs qui sont ici, dans ce musée, sont là pour nous donner d’entrer dans la grande histoire de la Vie par la vie donnée, engagée, offerte de ceux qui nous ont précédés et à qui nous devons aujourd’hui d’être un peuple libre et digne.

L’hommage de la mémoire est un devoir de conscience et de fondement existentiel. Nous sommes tous des héritiers. Nous avons tous reçu la vie physique transmise physiquement d’un autre et nous recevons la vie de l’esprit, le fondement, la sagesse, le sens par ceux qui nous précèdent et par le tout autre qui est le fondement de tout être. Aucun homme ne s’est donné à lui-même sa propre vie.

Quelle folie que de vouloir se donner à soi-même le sens ultime de sa vie ! Nous ne sommes pas libres de ce pour quoi nous sommes faits. Nous sommes libres de la manière dont nous y répondons. Dans nos existences humaines, tout est à recevoir comme un don, une histoire, un héritage remis entre les mains de nos libertés pour lui faire porter du fruit.

C’est un combat pour chaque époque, c’est un combat pour chaque homme. La sagesse de ce monde se trouve parfois dévoyée dans la déconstruction, dans la tentative infantile d’effacer toute trace de l’héritage, toute paternité, toute filiation, tout engendrement. C’est bien pure folie. Perdre le sens de l’histoire reçue, c’est bien être l’insensé dont nous parle l’apôtre Paul, une illusoire toute-puissance de la créature.

L’histoire est toujours lieu de réflexion et de discernement, à partir de ce qui est, non à partir d’une philosophie ou d’une idéologie d’un monde fantasmé. Certes, l’histoire fut souvent écrite par les vainqueurs. Mais notre histoire contemporaine, et ce musée en porte la trace, nous donne magnifiquement d’offrir sa part à tous, de tous côtés, à tous les niveaux, dans toutes les responsabilités.

Ce musée le montre bien. L’histoire s’écrit avec des vies et chacune de ces vies sont uniques, précieuses et sacrées. Tout homme est une histoire sacrée dont la grande histoire du monde est le réceptacle. Cette histoire des Troupes de marine, cette histoire du monde, cette histoire de tant d’êtres humains ayant engagé leur existence pour servir des idéaux qu’ils comprenaient comme les plus nobles, c’est une histoire de vie et de mort. Car tout vous appartient : le monde, la vie, la mort. La grande histoire est faite de la vie et de la mort de chacun d’entre nous. C’est bien là le cœur bouleversant de la singularité militaire qui porte à incandescence cette question fondamentale de l’humanité : recevoir de son pays le pouvoir exorbitant de porter la mort au risque de sa propre vie, pour défendre ce que l’on estime essentiel, ce qui relève de l’âme, de l’absolu, de la transcendance, de l’éternité.

Je cite ici un ancien sous-officier au témoignage saisissant. « Si le soldat n’a plus d’idéal, ce n’est plus un soldat, c’est un mercenaire. Lorsque le soldat tombe au feu, c’est avec honneur. La plupart des gens meurent pour rien. Ils disparaissent et c’est tout. Alors que le soldat, dans la dynamique du sacrifice suprême, du don de sa vie pour ses frères, entre dans une forme de transcendance dont l’histoire porte la mémoire. »

La vie, la mort et l’au-delà sont bien les questions centrales de l’humanité. Si, par le divertissement du quotidien, beaucoup de contemporains l’ignorent, le militaire y fait face avec constance. Cela fait partie de sa vocation. Cela lui confère une profondeur et une intensité à nul autre pareil. La confrontation à la mort n’intervient pas uniquement au moment du combat. Elle est anticipée et elle ne vous lâche pas lorsque l’action est terminée.

Qu’est-ce que la vie sans liberté ou sans dignité ? En subissant une pression ou une mise sous tutelle, ne devient-on pas un mort vivant ? Qu’est ce qui justifie que je prenne la vie de l’autre ? Qu’est ce qui justifie que j’engage la mienne ?

Tout vous appartient. Le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir. Le présent, c’est celui du temps réel, notre temps, nourri et éclairé de ses héritages et de ses fondements. L’avenir, c’est l’histoire à construire par chacune de nos vies, au service des idéaux les plus beaux. Tout vous appartient, tout est à vous. Mais vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu.

Ce monde, cette vie qui nous sont donnés, remises entre nos mains, elles viennent de Dieu. Nous l’avons proclamé dans le psaume 23 qui proclamait « Dans tout l’univers – aujourd’hui, il semble comme écrit pour les Troupes de marine – au Seigneur le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants. C’est lui qui l’a fondé sur les mers et la garde inébranlable sur les flots. »

Nous sommes libres de ce que nous faisons. Nous ne sommes pas libres de ceux que nous recevons. Encore une fois, nous ne sommes pas libres de ce pour quoi nous sommes faits. Nous venons de Dieu et nous allons à Dieu de la manière la plus sûre, dans la victoire comme dans l’adversité apparente. L’Évangile selon saint Luc nous montre la faiblesse et la limite des apôtres. « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre », alors même que ce sont des pêcheurs professionnels. Être pêcheur d’hommes, c’est être sauveteur en mer et on ne peut pas être envoyé comme pêcheur d’hommes sans avoir fait l’expérience d’avoir été soi-même repêché par le Christ, prendre conscience de sa pauvreté, de sa radicale faiblesse, pour ensuite aider ses frères à se libérer du péché qui conduit au mal et à la mort, c’est-à-dire à l’éloignement de Dieu.

C’est le jour où nous prenons conscience de nos pauvretés que le Seigneur peut nous combler. Ce Dieu qui nous a créés et qui nous veut avec lui pour toujours. Ce Dieu, Père de Jésus-Christ, qui veut nous associer à son œuvre de salut en étant nous-mêmes acteurs de libération, de lumière, de paix, de vie, de salut pour nous-mêmes et pour nos frères.

La finale de cet évangile nous dit « alors ils ramenèrent les barques au rivage et laissant tout, ils le suivirent ». Nous allons tous ramener nos barques au rivage de ce monde pour passer sur l’autre rive. Quel sera le sens ? Quel est le sens de notre traversée ? Est-ce que ce musée des Marsouins va inspirer à nos libertés une vie et une mort pleines de sens ou pleines de vide, pleines de lumière ou pleines de ténèbres.

« Et laissant tout… » Mes amis, nous laisserons tout. Nus, nous sommes sortis du ventre de notre mère et nus, nous serons inhumés. Les linceuls n’ont pas de poche et on n’a jamais vu un coffre-fort suivre un cercueil. Est-ce que nous allons tout laisser positivement, librement, par nous-mêmes, au service de l’essentiel, du meilleur de ce qui habite nos cœurs et nos consciences ou est-ce que nous allons nous laisser être dépouillés contre notre volonté et nos projets personnels ?

« Laissant tout, ils le suivirent. » Beaucoup de ceux qui ont donné du sens à leur vie par leur mort sont illustrés dans ce musée. Nombreux parmi eux sont ceux qui ont suivi Jésus-Christ, lui qui se définit lui-même comme étant le chemin, la vérité et la vie. Et moi, et toi, qui suivons nous ? Nous-mêmes ? l’air du temps ? ou l’air de Dieu ?

Puisse cette inauguration du musée des Troupes de marine nous remettre chacun devant la grande histoire faite de chacune de nos histoires et nous aider nous aussi à tout laisser pour ne suivre que l’unique essentiel, Jésus-Christ, Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, mort et ressuscité pour nous ouvrir la vie en plénitude, cette vie qu’ont cherché et visé tant de magnifiques histoires humaines qui nous ont précédés et qui aujourd’hui peuvent nous inspirer dans un registre d’absolu, d’infini, d’éternité.

La prière des Marsouins se termine en demandant à Notre Dame, à l’heure de la mort, d’ouvrir pour nous ses bras maternels. Et lorsque nous récitons la prière du Je vous salue Marie, elle demande à la Vierge Marie de prier pour nous aux deux instants décisifs de nos vies, maintenant et à l’heure de notre mort. Que toute cette histoire reçue, cet héritage magnifique dont sont porteurs les Troupes de marine nous donne d’être ressourcé du meilleur de ce qui habitait le cœur de ceux qui nous ont précédés pour nous donner aujourd’hui, au présent, d’être les acteurs de ce meilleur qui nous prépare ce passage, et cette éternité où chacun avec amour nous sommes attendus.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen.

S.E. Monseigneur Antoine de Romanet de Beaune
évêque aux armées françaises