Homélie pour la commémoration des combats de Bazeilles

Évangile selon saint Matthieu (25, 1-13) : parabole des vierges sages et des vierges folles

Chers amis, nous sommes réunis ce matin pour prier très particulièrement pour les troupes de marine, pour tous ceux qui nous précèdent et pour chacun d’entre nous.

Ici tout se joue autour d’une lampe vide. Cet Évangile est proclamé dans le monde entier en ce premier vendredi du mois. Une lampe vide, un retard au rendez-vous : cela semble dérisoire et pourtant cela nous dit quelque chose d’essentiel, parce que ce dont il s’agit c’est de la rencontre ultime de notre vie avec le Seigneur. Lorsque nous disons le Je vous salue Marie, nous lui demandons de prier pour nous aux deux moments décisifs de notre existence : maintenant et à l’heure de notre mort. Et la grâce nous est donnée ce matin de réfléchir ensemble, maintenant, sur ce moment de la rencontre, « l’heure de notre mort ».

Ce qui nous est dit dans cette page d’Évangile rejoint, d’une manière extrêmement forte, ce que nous vivons dans les armées, dans les troupes de marine. Et, à bien des égards, les propos que je vais vous tenir, le « père de l’Arme », le général Vidal, ou le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Schill, pourrait vous les tenir sur le mode de la vigilance. Au fond, lorsque nous réfléchissons, lorsqu’un militaire regarde ce qu’a été son parcours, il peut presque compter le nombre de minutes où il a été au feu et le nombre d’heures, de jours, de mois où il a été dans une situation de vigilance. Et nous savons le rôle des sentinelles qui, dans leur vigilance, protègent tous ceux qui les entourent.

Ici, ce qui est magnifique, c’est que tous sont invités, comme ici ce matin, et tous ceux qui sont là ont accepté l’invitation. Les dix vierges ont toutes accepté l’invitation. Pour bien comprendre, c’est véritablement la Sagesse qui vient à la rencontre de ceux qui la cherchent. Le Seigneur qui nous cherche et qui nous devance, ce matin, dans cette cathédrale. Le Seigneur Jésus qui nous invite, le Seigneur Jésus qui vient frapper à la porte de nos cœurs. Il nous devance et Il attend notre réponse.

Ici, la folie n’est pas une étourderie, mais une désinvolture, une inconséquence. Une lampe sans huile ne sert à rien. Cela n’a aucun sens d’avoir le contenant sans avoir le contenu. Et une sentinelle peut être magnifiquement armée, si elle dort elle n’a aucun sens. Il y a une totale désinvolture dans le fait d’avoir une lampe sans huile. Lorsque nous n’habitons pas notre mission, lorsque nous n’habitons pas le sens profond de ce que nous faisons, alors il y a cette redoutable inconséquence.

Et voilà qui nous interroge sur la qualité de notre attente du Seigneur, l’intensité de notre soif. Nous savons que lorsque des parents attendent le retour d’un enfant, d’un adolescent – il a 16 ans et on lui a donné l’autorisation d’aller jusqu’à minuit avec des amis –, on entend avec une vigilance extraordinaire le bruit du gravier au fond du jardin. Pour beaucoup d’entre nous, c’est la vigilance vis-à-vis de l’être aimé : lorsqu’on attend la visite de quelqu’un qui nous est cher, le moindre craquement ou bruit au bas de l’escalier nous met en éveil, parce que nous avons cette qualité d’attente. Et nous pouvons nous interroger : quelle est notre qualité d’attente du Seigneur dans notre vie ? Sommes-nous attentifs aux signes qu’Il ne cesse de nous envoyer, au craquement des marches que le Seigneur utilise pour venir à notre rencontre ? Est-ce que nous dormons ou est-ce que nous sommes éveillés ? Est-ce que nous sommes dans notre vie spirituelle, comme dans notre vie militaire, des sentinelles pleinement à leur affaire, attentives aux moindres signes, les fameux signaux faibles qui nous mettent sur la piste de l’essentiel ? Ou est-ce que nous adoptons simplement une posture, que nous n’habitons pas intérieurement ?

Ici, ce qui est impressionnant, c’est que toutes ces vierges se sont endormies, mais chacune avec ses propres dispositions. Il y a qualité et qualité, dans ce sommeil. Ici d’une certaine manière, tous ont besoin de dormir. Le salut n’est pas le lot des surhommes. Ce qui est demandé, ce n’est pas d’être surhumain, c’est d’avoir de l’huile, c’est-à-dire, dans le cadre de la formation militaire, d’être véritablement formé et aguerri à la mission qui m’est confiée, et dans le cadre de la vie spirituelle de me nourrir, d’être habité par la Parole et par la présence de Dieu, par ma méditation au quotidien, quelques instants, quelques minutes, quelques dizaines de minutes, de la Parole de Dieu et de la présence de Dieu dans ma vie. Qu’est-ce qui alimente ma vie spirituelle ? Qu’est-ce qui fait que la lampe que je suis est habitée par cette huile de l’Esprit du Seigneur ? Voilà bien la question.

Nous voyons bien qu’il s’agit des dispositions intérieures qui ont des conséquences concrètes. Lorsque je reçois une mission et que je suis habité par son sens profond, alors toute ma vie est en éveil et, au moment opportun, je peux passer à l’action. C’est bien ce qui se passe ici. Lorsque je porte quelque chose dans mon cœur, j’agis concrètement en conséquence. Je vais prendre un exemple très concret : ne pas être à l’heure à un rendez-vous, qu’est-ce que cela signifie ? Peut-être que mon réveil n’a pas sonné. Mais quand le rendez-vous est vraiment important, avec mon chef de corps, avec le « père de l’Arme » ou avec le chef d’état-major de l’armée de terre, je mets deux réveils, même un troisième. Lorsque je ne suis pas à l’heure à un rendez-vous, cela veut dire que ce rendez-vous n’avait peut-être pas une telle importance, et effectivement je donne un signe matériel du fait que je ne suis peut-être pas habité, dans toute son importance, de ce que je suis en train de vivre. Est-ce que, dans mon rendez-vous avec le Seigneur, je prends véritablement les moyens d’être présent pour la rencontre ?

Ici ces dix vierges sont toutes responsables, et chacune est jugée personnellement. L’enseignement ne porte pas sur le partage, mais sur la vigilance. Personne ne peut vivre notre vie à notre place. On ne peut pas être vigilant à la place d’un autre. Dans notre vie spirituelle, comme dans nos responsabilités chacun dans les régiments où nous nous trouvons, nous sommes responsables, et nul ne peut se substituer à cette responsabilité.

Nous comprenons bien qu’ici, c’est à la fois tout simple et bouleversant : il s’agit d’entendre la Parole et de la mettre en pratique. Avoir sa lampe allumée, c’est vivre une authentique relation d’amour au quotidien. On n’a pas besoin d’expliquer à des parents l’importance d’entendre les graviers au bout du jardin. On n’a pas besoin d’expliquer à quelqu’un qui aime qu’il s’agit d’être spontanément attentif au bruit du craquement du bas de l’escalier quand la fiancée monte. On n’a pas besoin d’expliquer à un chrétien dont la foi est vive et dont la lampe est allumée, pleine d’huile, ce qu’il convient de vivre. Et c’est bien cette question de la connexion qui est essentielle dans nos vies.

Permettez-moi de terminer en passant du cierge baptismal à la lampe électrique.

Le jour de notre baptême, un cierge a été allumé au cierge pascal – qui n’est pas là aujourd’hui dans ce sanctuaire, parce que nous ne sommes pas en période pascale –, cierge béni la nuit de Pâques en signe de la Résurrection du Christ. Ce cierge a été remis à nos parents, parrain et marraine, comme signe de cette foi à nous transmettre. Dans bien des circonstances, il peut arriver qu’il y ait des coups de vent, des tempêtes, de la pluie, et que le cierge s’éteigne. Merveille de nous dire que nous pouvons sans cesse venir rallumer notre cierge au cierge pascal qui brille dans le sanctuaire de l’Église et que, quelles que puissent être les vicissitudes, les difficultés, les obscurités de nos existences, le Seigneur ne cesse de nous attendre pour rallumer notre cierge ! La question n’est pas d’avoir été baptisé. La question est : est-ce que je suis baptisé, c’est-à-dire est-ce que j’ai une relation vivante aujourd’hui avec le Seigneur ? Est-ce que la flamme du Seigneur brille dans ma vie ? Image du cierge pascal allumant mon cierge baptismal, pouvant être sans cesse renouvelé dans ma vie.

Une autre image, peut-être encore plus directe parce que, dans les troupes de marine, avoir une bougie allumée pour maintenir la sentinelle n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus opportun. Nous avons des lampes électriques. On peut avoir de magnifiques lampes électriques. Vous voyez la lampe et la pile à l’intérieur. Et vous savez que ça marche quand la pile est reliée au reste. Les connexions sont en cuivre. Il faut faire attention que ça marche bien. Je peux avoir une superbe lampe et je peux avoir une superbe pile. Si elles ne sont pas reliées, cela ne sert de rien.

Eh bien, mes amis, nous pouvons avoir un superbe baptême les uns les autres, nous pouvons avoir une superbe doctrine, nous pouvons avoir une superbe pile, si le courant ne passe pas, si la vie de l’Esprit ne passe pas dans nos cœurs, alors en réalité nous sommes en train de dormir et non pas d’être dans une situation de vigilance.

Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort.

La vraie question – et je termine ici – que cet Évangile que nous a fait vivre et qui est au cœur de notre vie militaire, comme de notre vie spirituelle, c’est celle de la vigilance de la sentinelle. Merveille de la sentinelle dont le cœur ne cesse de battre en attendant ce qu’elle a mission d’observer, et pour chacun d’entre nous le Seigneur qui ne cesse de venir. L’important, c’est le moment présent et le moment de la rencontre. Lorsque nous réfléchissons quelques instants, nous nous rendons compte que, dans nos vies, nous avons prise sur extraordinairement peu de choses : nous avons prise sur l’instant présent pour notre vie spirituelle. Ne nous inquiétons pas de ces cinq vierges sages et de ces cinq vierges folles. Ne nous inquiétons que de ce sur quoi nous avons prise. Lorsque nous avons compris cela, nous limitons considérablement nos inquiétudes, parce que nous avons prise, encore une fois, sur extraordinairement peu de choses : sur notre vie spirituelle, pour aujourd’hui.

Ainsi, ce que cet Évangile vient providentiellement nous rappeler – alors même qu’il est proclamé dans le monde entier et que c’est l’Évangile du jour –, c’est que le Seigneur ne cesse de venir à notre rencontre, qu’Il s’adresse à la liberté de nos cœurs et que ce à quoi Il nous invite c’est à avoir cette vigilance du cœur, qui est la vigilance de celui qui aime. Vigilance du marsouin ou du bigor qui, quand il est en sentinelle, protège l’ensemble du groupe qui lui est confié. Vigilance du lieutenant, du capitaine, du colonel qui protège et qui accompagne tous ceux qui lui sont confiés. Vigilance de chacun d’entre nous dans notre vie spirituelle. Le Seigneur nous a tout donné. Le Seigneur nous donne sa Parole et sa présence. Il ne cesse de venir à notre rencontre. Puissions-nous maintenir notre lampe allumée pour que l’heure de la rencontre, qui est aujourd’hui et l’heure de notre mort, soit cette heure de lumière où nous sommes attendus pour l’éternité.

Au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen

S.E. Mgr. Antoine de Romanet de Beaune
Evêque aux armées françaises