Messe des Ailes brisées

Le samedi 15 octobre, comme chaque année, a eu lieu en la cathédrale Saint-Louis des Invalides, la messe des Ailes brisées, cérémonie pour l’ensemble des personnels de l’aviation civile et militaire.

Chers amis, les textes que nous venons d’entendre, qui se trouvent sur les feuilles que nous tenons entre nos mains, ce sont des textes que nous n’avons pas choisis pour cette célébration, mais des textes qui résonnent de par le monde entier dans toute l’église universelle aujourd’hui. Et ces textes c’est comme s’ils étaient choisis exprès pour nous, comme d’ailleurs à chaque fois que nous accueillons la parole de Dieu.

Dans ce passage de sa lettre aux Éphésiens, saint Paul commence par écrire : « je ne cesse pas de rendre grâce quand je fais mémoire de vous dans mes prières ». Voilà bien ce qu’ensemble nous faisons ce matin : nous faisons mémoire de tant d’être chers disparus dans le service aérien, nous faisons mémoire de toutes ces vies que nous avons croisées et choyées, nous portons dans notre mémoire toutes ces âmes que nous avons côtoyés, dans la ferme certitude de l’éternité de chacune dans la lumière de Dieu.

Oui mes amis, ce matin nous faisons mémoire. Je vous propose de prendre quelques secondes de silence pour que nous puissions prononcer dans le secret de nos cœurs les noms de tel ou tel naviguant, de tel ou tel frère, père, amis, collègue, dont nous avons croisé la route, et qui marquent à jamais ce qu’est notre chemin entre terre et ciel. Prenons quelques instants pour rendre présent à nos esprits ceux que nous portons dans notre prière, avec toute la grande famille de l’aéronautique rassemblée ce matin en cette cathédrale saint Louis des Invalides…

Paul nous fait demander au Seigneur Jésus Christ de le connaître vraiment. Co-naître. Naitre avec. Connaitre non pas tant avec notre intelligence qu’avec notre cœur. Accepter de se laisser toucher et bouleverser par cet amour du Seigneur Jésus qui ce matin encore viens à la rencontre de chacun d’entre nous, qui que nous soyons, quel que soit notre itinéraire, quelles que soient nos peines et nos fardeaux, nos espoirs et nos rêves, Jésus vient ce matin à notre rencontre par sa parole vivante et par son corps glorieux ressuscité. Il s’offre et se révèle pour être accueilli par la liberté et le dilatement de notre cœur émerveillé de ce don offert en totale gratuité.

Et saint Paul d’écrire une des phrases les plus invraisemblable que notre humanité puisse entendre : « la puissance infinie que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ déploie pour nous les croyants, c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux ».

Il faut nous laisser prendre par cette formule audacieuse : « la force divine » qui travaille mon cœur de croyant, c’est, ni plus ni moins, que la même force que celle qui a ressuscité Jésus d’entre les morts et l’a élevé aux cieux !

La question n’est pas celle de mes faiblesses et de ma radicale pauvreté. La question est celle de ma capacité à capter cette force divine qui est puissance de vie, à un tel degré qu’elle va jusqu’à être puissance de résurrection et d’éternité.

Il existe une puissance divine qui a ressuscité Jésus ! Et cette puissance divine peut m’offrir de ressusciter à sa suite pour une vie éternelle, en tant que je m’ouvre à elle, que je l’accueille, que je me laisse transformer et comme déjà transfigurer par elle. Les visages des saints en sont la plus belle illustration, eux qui accueillent sans filtre cette puissance de don et de pardon, d’offrande et de guérison, qui suscite le meilleur et ressuscite pour une vie éternelle avec notre créateur.

Merveille de réaliser que Dieu a déposé dans le cœur de chacun de ses enfants une force de résurrection qui ne demande qu’à se déployer à la mesure de l’engagement de notre liberté.

Ce Jésus ressuscité, Christ et Seigneur, saint Paul nous dit que Dieu l’a établi au-dessus de tout être céleste, au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, Principauté, Souveraineté, Domination… non seulement dans le monde présent mais aussi dans le monde à venir.

En Jésus Christ le chrétien est libéré de toutes ses peurs, peur des esprits maléfiques et des superstitions, peur des ténèbres et de la mort. En tout ceci le Christ est à jamais vainqueur.

Et Paul d’ajouter que Dieu a fait du Christ la tête de l’Église, cette Église sainte composée du peuple de pécheurs que nous sommes. L’Église comme lieu de la présence et du déploiement de la puissance de vie du Christ, à laquelle nous faisons encore si souvent obstacle par nos vies et nos contre-témoignages.

Ceci est appelé à se traduire dans le plus concret de nos existences. Dans ces quelques versets de l’évangile selon saint Luc que nous venons d’entendre Jésus exprime une prétention proprement surhumaine : celle de prendre parti devant Dieu au profit de ceux qui auront pris parti pour lui devant les hommes. C’est bien du jugement dernier dont il est ici question.

Et nous avons ici une phrase étonnante : « Quiconque dira une parole contre le fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné ».

Jésus fait ici une différence entre « parler contre lui, Jésus », ce qui est pardonnable, et « parler contre l’Esprit Saint », ce qui serait impardonnable.

Jésus à l’air de supposer que l’on puisse se tromper sur Lui, tant qu’Il est un homme vivant parmi les hommes, dans l’abaissement de son humanité servante et pauvre. Oui, on peut se tromper de bonne foi sur l’incarnation de Jésus, en le jugeant seulement avec nos facultés humaines. Et Jésus dira lui-même de ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus a aussi pardonné à Pierre, qui l’a renié par faiblesse, dans le désarroi des heures tragiques de la passion.

En revanche, Jésus considère comme beaucoup plus grave ce qu’il appelle « le blasphème contre l’Esprit ». Qu’est-ce ? En Matthieu, c’est le refus de reconnaitre le pouvoir pourtant manifeste de Jésus sur les démons. Jésus n’admet pas que l’on puisse rester aveugle devant les manifestations les plus éclatantes de l’Esprit, à commencer par sa propre résurrection. Cet Esprit de Dieu il est au cœur de ce monde et au cœur de chacune de nos vies. Encore faut-il accepter de le reconnaitre, de l’accueillir, de se laisser transformer par lui, esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur …

Le contexte permet de comprendre ces paroles difficiles. Alors que Jésus libère de l’esprit du mal par la puissance et l’énergie de l’Esprit d’amour, ses ennemis disent qu’il est en fait animé lui-même par l’Esprit du mal.

L’Esprit est en nous force, dynamisme de vie, invitation au bonheur. Je peux avoir de la peine à répondre à ses appels exigeants. Je peux parfois renoncer à vivre à la hauteur des paroles vives qui ont leur source en « l’Esprit parlant à notre esprit ». Cela s’appelle le péché et c’est pardonnable.

Ce qui est impardonnable, c’est de « parler contre l’Esprit », de dire qu’il n’est pas puissance de vie et de résurrection, mais qu’il est l’esprit du mal, que ses appels sont insensés, vont contre la vie et le bonheur, bref que l’Esprit « veut ma mort ».

Dire que la source d’eau vive est empoisonnée, c’est se condamner à mourir de soif. Si l’Esprit est nié comme puissance de vie, la source du pardon est coupée : nul n’est pardonné contre son gré.

En d’autres termes, il s’agit du mensonge par excellence dans la suite du père du mensonge, Satan, le menteur, le diviseur : refuser à Dieu d’être Dieu, refuser à Dieu d’être puissance de vie, de don et de pardon… c’est refuser d’accueillir la grâce qui seule peut nous ouvrir le chemin de la lumière éternelle.

Mes amis, quelle grâce est la nôtre, ce matin encore, d’être mis en présence de la puissance de salut du Christ ressuscité. Quelle grâce est la nôtre d’entendre ces paroles de Dieu qui viennent rencontrer la liberté de chacun de nos cœurs. Quelle grâce est la nôtre d’être invités avec force et douceur à nous convertir, à faire mourir en nous le vieil homme, esclave de son péché et de ses faiblesses, pour que naisse en nos cœurs l’homme nouveau, habité par l’Esprit du Seigneur, un esprit d’amour, de lumière, de vie, de don, de résurrection.

Mes amis quelle grâce de porter devant le Seigneur la mémoire de toutes ces ailes brisées, de toutes ces vies qui avaient le désir de s’élever en altitude et à qui Dieu en Jésus Christ offre le ciel comme un écrin d’éternité.

Mes amis, il est l’heure, c’est le moment, préparons en nos cœurs et en notre monde le chemin du Seigneur, rendons droit ses sentiers, pour que tout être vivant voit le salut de Dieu, et que jamais, nous ne soyons séparés de son amour.

S.E. Mgr. Antoine de Romanet de Beaune
Evêque aux armées françaises