L’aumônerie militaire d’hier à aujourd’hui

La présence de l’Église dans le milieu militaire est ancienne et témoigne d’une remarquable qualité d’accompagnement humain et spirituel au plus près de la vie des soldats.

En 313, l’Empereur Constantin adopta le christianisme comme religion d’État et mit fin aux persécutions. Ce fut le temps de la mise en valeur de militaires chrétiens, morts en martyrs pour avoir refusé de renoncer à leur foi. Ils devinrent plus tard des références spirituelles pour bien des corps d’armes : les saints Maurice (patron de l’infanterie) et Georges (patron de l’arme blindée – cavalerie) par exemple. Cette antique présence se prolongea à la période mérovingienne : on mentionne la présence de prêtres priant avant et après les principales batailles.

 

Première reconnaissance officielle

 

Sous le règne et par la volonté du roi Clotaire (première partie du VIème siècle), saint Sulpice, archiprêtre de Bourges, avait pour mission de mener des reliques au cœur des batailles. Il déployait devant les militaires le supposé manteau de saint Martin. Cette cape est le fondement étymologique de la charge ecclésiastique de chapelain, première mention des prêtres aux armées. Cette fonction transmissible aux successeurs de Sulpice s’accompagna de la création d’une première aumônerie militaire sous le règne de Carloman et le pontificat de saint Boniface II. En 742, le concile de Ratisbonne stipule : « Nous interdisons absolument à tous les serviteurs de Dieu de porter armure ou de combattre ou même de se rendre à l’ost ; sauf toutefois ceux qui, pour les besoins du ministère divin – à savoir l’accomplissement des solennités des messes et le port des reliques des saints – auront été choisis pour cela. ».

Au Moyen Âge, Charles le Chauve légiféra également sur la question afin de mentionner explicitement le rôle essentiellement sacramentel de ces hommes de Dieu. Plus tard, l’apparition des ordres de chevalerie permis aux frères profès non prêtres de combattre au même titre que les autres soldats. Durant le bas Moyen Âge, l’Église s’appliqua à humaniser la réalité des champs de bataille par l’édiction de nouvelles règles juridiques : institution de la trêve de Dieu, canalisation des abus des guerres, des pillages et des destructions. Elle a également développé une réflexion théologique, notamment. On pense notamment aux écrits de saint Thomas d’Aquin fixant les limites de la guerre juste.

Durant la Renaissance, François 1er reforma le mode de présence des membres du clergé en milieu militaire. En 1543, il créa la charge de Grand Aumônier de France et initia la première aumônerie de la Marine. Deux ordonnances d’Henri II rendirent possible la présence d’un prêtre par régiment et d’un prédicateur sur les champs de bataille. Souvent, les chapelains miliaires ne disposaient pas de lieux stables pour célébrer les sacrements. Les fortifications voulues par Louis XIV aux marches du royaume de France permirent à Vauban d’inclure systématiquement la présence d’une chapelle dans les citadelles sorties de terre à la fin du XVIIème.

 

Après la révolution

 

Ce fut dans un état moribond que l’aumônerie militaire traversa la Révolution française, sans pour autant totalement disparaitre avant l’automne de l’an II. Bonaparte mit un terme au déchainement révolutionnaire mais ne renouvela pas la présence d’aumôniers au sein des troupes. Devenu Empereur, il rétablit toutefois la charge de Grand Aumônier de France en la personne de son oncle, le Cardinal Fesch.

La Restauration marqua la résurrection de l’aumônerie miliaire. L’archétype de référence était en effet celui de l’Ancien Régime. Une ordonnance du 1er octobre 1814, complétée définitivement le 24 juillet 1816, constitua une Grande Aumônerie des Armées et un statut des aumôniers fut rédigé. Dès lors l’ecclésiastique fut soldé dans les mêmes conditions qu’un capitaine. Les chapelains militaires furent rattachés à un régiment, pour accompagner les soldats sur le terrain.

Durant la campagne de Crimée, de 1853 à 1856, bien des prêtres accompagnèrent les militaires au cœur des combats. Si les Capucins servirent majoritairement au milieu des soldats durant le Moyen âge et l’Ancien Régime, les Jésuites proposèrent à la fin du XIXème siècle leurs services. Le réveil religieux de la France post-révolutionnaire entra aussi massivement durant cette époque au sein des armées : ce fut le temps des « œuvres » par la multiplication des foyers du soldat et des confréries.

Sous la Troisième République, l’évolution des conflits armés après le désastre de la bataille de Sedan en 1870 posa de nouveaux jalons dans la réflexion sur une juste contribution des aumôniers, réclamant à la fois une formation spécifique et une hiérarchie. Le texte législatif de base organisant cette aumônerie date de 1880 et n’a pas été abrogé lors de la séparation de l’Église et de l’État. La loi du 8 juillet 1880 est toujours la base légale des aumôneries catholique, protestante, israélite et musulmane des Armées françaises.

 

Le XXème siècle

 

L’engagement du clergé fut massif durant la Grande guerre : outre la présence d’aumôniers, plus de 25.000 prêtres et séminaristes furent mobilisés.  De grandes figures émergèrent comme celle du Bienheureux Daniel Brottier, qui partageait les difficultés et les angoisses des hommes dans les tranchées. Il accomplissait son ministère religieux dans l’assistance aux blessés et aux mourants.

En 1952, le Siège apostolique unifia l’aumônerie française en désignant l’archevêque de Paris comme vicaire aux armées. Il avait autorité sur tous les aumôniers du vicariat et pouvait s’appuyer sur trois vicaires généraux qui le représentaient dans chacune des Armées : terre, air et marine. C’est ensuite l’évêque auxiliaire de Paris pris la charge de ce vicariat, devenant le premier vicaire aux armées.

Durant la guerre d’Indochine, trois cent aumôniers se succédèrent sur le terrain ; quatorze ne revinrent jamais. Avec la guerre d’Algérie, des questions éthiques occupèrent la réflexion des aumôniers, notamment celle de la torture et du putsch des généraux.

Enfin, en 1986, saint Jean-Paul II érigea le vicariat en Diocèse aux Armées. Sa cathédrale est l’église Saint-Louis des Soldats, aux Invalides, à Paris. Depuis lors, plusieurs évêques se sont succédés au service des aumôniers, désormais clercs et laïcs, hommes et femmes.

 

P. Jérôme Maljean, aumônier militaire