Lettre de Mgr Antoine de Romanet – octobre 2019

 

Depuis deux ans, je suis plongé au cœur d’un diocèse tout entier mobilisé au côté de nos soldats. Au quotidien, nos aumôniers accompagnent ces femmes et ces hommes qui engagent leur vie au service de notre paix, de notre sécurité, de notre liberté…

Un monde plus que jamais incertain et instable

Nous découvrons chaque jour la partie émergée d’un iceberg de tensions, de rapports de force entre des pays et des continents qui ne portent pas les mêmes systèmes de valeurs ni les mêmes visions du monde. Qu’il s’agisse des grands accords stratégiques de contrôle des armements remis en cause, des périls identifiés dans l’espace, de la course effrénée à l’avance technologique dans la cyber-défense où menaces et contre-menaces se font face en une inquiétante dialectique… Qu’il s’agisse de la bande sahélo-saharienne, de la frontière entre le Liban et Israël, de la situation en Syrie et en Irak, ou encore de la réalité critique du détroit d’Ormuz… Qu’il s’agisse des risques d’attentat dans l’hexagone ou à l’autre bout du monde… Partout des femmes et des hommes veillent pour nous 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, afin d’observer, discerner, stabiliser, prévenir, agir… en exposant leur vie… et cela pour notre sécurité, notre pays, notre avenir, notre liberté.

L’homme au cœur de tout

Si les armes et les technologies semblent figurer aujourd’hui en première place, c’est pourtant bien l’homme qui est au cœur de tout. L’homme dont l’esprit, la volonté et la vision font et feront la différence entre les Nations. Nul n’engage son existence au risque du sacrifice suprême pour de simples enjeux matériels. Certains – et les militaires français sont de ceux là – acceptent un tel engagement pour sauver des vies, et pour en préserver les valeurs fondamentales. Il faut pouvoir y réfléchir, échanger et être accompagné sur ce chemin redoutable. L’aumônier est ce compagnon de tous les instants qui pas à pas, instant après instant, dans les peines comme dans les joies, donne sens et espérance au cœur des défis de la vie.

Sur le terrain, des femmes et des hommes donnent tout

Nous avons tous été frappés par le décès le 10 mai dernier au Burkina Faso de Cédric de Pierrepont et d’Alain Bertoncello, commandos Marine, membres des forces spéciales, qui ont donné leurs vies pour libérer des otages. Sur le terrain, l’épreuve a touché aussi leurs camarades que nos aumôniers ont pu accompagner de chapelles ardentes en paroles personnelles. Aux Invalides, dans l’intimité de la Cathédrale, la prière de l’Église a rejoint celle des familles et des camarades demeurés en France. Dans le secret des inhumations, d’autres aumôniers ont témoigné de l’espérance chrétienne face au drame de la séparation.

Du Burkina Faso à la Guyane, le même engagement et le même accompagnement

En juillet, un drame survient en Guyane lors d’une opération de lutte contre l’orpaillage illégal : une explosion au fond d’une mine. Deux morts. Des blessés. Nos aumôniers ont immédiatement assuré présence, écoute, prière auprès des camarades meurtris, tant sur place qu’en France où ils ont entouré les familles et les proches, civils comme militaires au moment du dernier« à Dieu ».
C’est avec émotion que bien simplement, je partage avec vous ces deux évènements. Au Burkina Faso comme en Guyane, j’avais rencontré peu de temps auparavant les aumôniers concernés et connaissais parfaitement leurs conditions de vie et d’action. Je n’y avais pas rencontré les acteurs directs, mais nombre de leurs camarades. Pour certains, l’accomplissement du devoir requiert le sacrifice de leur vie, pour d’autres, il exige de demeurer « fidèle au poste » dans la plus extrême adversité. Mais tous doivent être soutenus spirituellement et humainement. Pour qu’aucun sacrifice ne soit vain. Pour que la cohésion et la force intérieure continuent à animer chacun au service de la mission reçue.

Déployer une fraternité au service de la liberté

Au mois d’août, la commémoration du 75ème anniversaire de la Libération de Paris fut une magnifique occasion de fêter l’amitié franco-américaine. Deux messes furent célébrées de part et d’autre de l’Atlantique : le 25 à Saint-Eustache réunissant autorités françaises et représentants américains, le 29 à la Cathédrale saint Matthieu de Washington en mémoire de la cérémonie qui s’y était déroulée exactement le même jour en 1944. Aux mêmes dates, se déroulèrent les prises d’armes, devant l’hôtel de ville de Paris et devant le mémorial du National Mali de Washington dédié aux combattants de la Seconde Guerre mondiale où, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, y retentit un hymne étranger : la Marseillaise !

À l’émotion qui a été la mienne de participer à ces quatre cérémonies s’est joint l’honneur de représenter l’aumônerie militaire catholique et de contribuer à sa vocation : offrir une présence de gratuité accompagnée d’un soutien humain et spirituel hors hiérarchie, au-delà de toute finalité opérationnelle. Puissions-nous au service de tous contribuer à éclairer notre temps, à tisser des liens, à construire une paix véritable et durable, en hommes et en frères libres et dignes de l’Esprit qui les habite.

Je vous assure de ma prière et de mon cordial et religieux dévouement.

+Antoine de Romanet
Évêque aux Armées Françaises

Crédit Photo : Antoine Langlois