Lettre de Mgr Antoine de Romanet – février 2020

Mgr Antoine de Romanet

La mission des aumôniers militaires est d’être à la fois proche des hommes dans une dimension personnelle de soutien moral et spirituel, ainsi que conseil au commandement, accompagnant la réflexion, la vision et l’action au cœur d’un monde en constante mutation. Il s’agit de conjuguer le plus proche avec le plus ample, le plus immédiat avec la plus large perspective. En ce début d’année, je souhaite ici partager avec vous quelques réflexions articulant ces deux dimensions.

UN PRÉOCCUPANT RETOUR DU FAIT GUERRIER

Nous assistons actuellement à une dégradation de l’environnement international et au retour du « fait guerrier ». Les facteurs d’instabilité se multiplient : tensions économiques, ethniques et religieuses auxquelles s’ajoutent enjeux démographiques, climatiques et gestion des ressources naturelles. Certains pays remettent en cause le droit international et le multilatéralisme – ce que le pape François ne cesse de dénoncer – si bien que les relations internationales tendent à se « militariser ». De nouvelles conflictualités surgissent, comme le cyber et l’espace, tandis que des souverainetés sont ébranlées par l’apparition d’acteurs privés souvent plus puissants que des États. L’accélération exponentielle des nouvelles technologies vient bousculer les référentiels intellectuels et éthiques obligeant à repenser les moyens de protection et de défense.

QUATRE MENACES POUR LES ARMÉES FRANÇAISES

Les armées françaises ont à faire face en 2020 à quatre types de conflits complexes et parfois simultanés. En premier lieu, celui du terrorisme : un ennemi aux valeurs radicalement différentes des nôtres qui contourne nos modèles de puissance en s’affranchissant du droit international et humanitaire. Une réalité amplifiée par l’affaiblissement des États qui conduit à des crises non seulement plus fréquentes mais aussi plus graves. S’y ajoutent des puissances désinhibées jouant la carte de la conflictualité dans les « zones grises » et pratiquant la politique du fait accompli. Enfin, le retour d’une guerre « classique » ne peut être écarté, il verrait l’affrontement de puissances « bloc à bloc » jetant toutes leurs forces dans la bataille. Alors que la fin de la « guerre froide » semblait nous en éloigner, cette menace doit être à nouveau sérieusement considérée.

CONSTRUIRE LA PAIX ET JETER DES PONTS

Dans ce contexte de tensions internationales, le dialogue, l’écoute et l’échange fraternel sont plus que jamais essentiels. C’est le sens du rassemblement de tous les ordinaires militaires autour du pape François du 29 au 31 octobre dernier à Rome, de la réunion des évêques de France du 4 au 10 novembre à Lourdes, de la rencontre avec les aumôniers en chef de l’OTAN du 27 au 31 janvier à Berlin, qui ont contribué à signifier et entretenir notre volonté commune de bâtir ensemble un monde de fraternité et de solidarité, de justice et de paix. C’est le sens de mes déplacements chaque semaine sur le terrain comme celui de la fête de Noël passée à Bagdad afin d’entourer et de soutenir les militaires français. Ces derniers contribuent avec un courage admirable à la construction d’une paix toujours si précaire.

DES THÉATRES D’OPÉRATIONS AUX INVALIDES, DES LARMES ET UNE ESPÉRANCE

Le 25 novembre 2019, treize soldats français engagés au sein de l’opération Barkhane sont morts pour la France lors d’une action de combat dans le Liptako malien. À bord de deux hélicoptères, ils participaient à une opération d’appui aux commandos parachutistes luttant contre des groupes armés terroristes.

Sur place, deux prêtres aumôniers militaires ont immédiatement apporté leur écoute et leur soutien. À Paris, entre un temps de recueillement sous le dôme et l’hommage rendu dans la cour d’honneur des Invalides une messe a été célébrée dans la cathédrale Saint-Louis associant la peine et l’espérance de tous dans une union poignante de dignité et de cœur. Des obsèques privées, accompagnées par les aumôniers militaires, se sont ensuite déroulées dans l’intimité de chaque famille et de chaque garnison.

Ces hommes, avec neuf autres militaires français dont les noms et les visages sont gravés dans nos mémoires, ont fait en 2019 le sacrifice de leur vie, au nom d’un idéal qui transcende tout attachement. Enfants de France, ils sont tombés pour les peuples du Sahel, pour la sécurité de leurs compatriotes, pour la liberté du monde… Ce sont des héros valeureux, humbles et unis par une profonde fraternité d’armes.

Le lundi 2 décembre, à Paris, au terme des honneurs militaires, treize cercueils s’en sont allés, suivis de leurs familles, conjoints, jeunes enfants, parents, proches, d’une dignité bouleversante, renvoyant chacun au sens ultime et décisif de sa propre existence. Notre devoir, à leur suite, est bien de nous engager sans relâche dans la construction de la paix au service de la fraternité la plus forte et la plus exigeante, celle à laquelle la suite du Christ ne cesse de nous convoquer.

+ Antoine de Romanet, Évêque aux Armées Françaises