Sainte Geneviève

Le 3 janvier, l’Eglise fête sainte Geneviève. La Gendarmerie nationale, dont elle est la sainte patronne, la fête, elle, le 26 novembre, jour de la fête de sainte Geneviève des Ardents.
Le 1er décembre, Mgr de Romanet célébrait la messe en l’église Saint-Etienne du Mont à cette occasion.

Nous sommes réunis ensemble, dans cette splendeur qu’est cette église Saint-Étienne-du-Mont, pour célébrer sainte Geneviève, patronne de la Gendarmerie et patronne de la ville de Paris. Et nous avons ces figures de Marthe et de Marie. Le service et le sens ultime du service. Nous comprenons intuitivement qu’il ne s’agit d’aucune manière d’opposer ces deux figures, mais bien au contraire de les articuler pour le meilleur de chacune de nos vies, le meilleur de notre service, le meilleur de notre pays.

Le service est essentiel dans la mission qui est la vôtre. Vous savez combien la Gendarmerie départementale est exemplaire dans sa proximité avec le pays. Combien ce sont eux qui viennent au petit matin apprendre aux parents le décès de l’un de leurs enfants. Combien ce sont eux qui viennent découvrir un corps abandonné depuis plusieurs semaines. Combien ce sont eux qui viennent au milieu de la nuit résoudre des tensions familiales. Combien ce sont eux qui, avec une proximité, une connaissance, une finesse et une humanité exceptionnelles, accompagnent nos compatriotes, viennent apporter la paix, viennent apporter l’ordre pour le meilleur en défendant les plus petits et les plus faibles. Ce quadrillage de la France par la départementale est une merveille dont nous mesurons chaque jour les fruits.

La police judiciaire qui est aussi entre vos mains, sait avec des moyens à la pointe du progrès, aider à élucider les situations les plus complexes. Et nous savons combien la Gendarmerie ici est essentielle également au pays. Je n’ai pas besoin d’épiloguer sur la Gendarmerie mobile qui a une maîtrise de la force qui permet de prévenir les violences. Nous savons que dans les situations les plus tendues, les plus difficiles, les plus obscures, c’est la Gendarmerie mobile qui est appelée et c’est elle qui vient résoudre, apaiser.

Ce service qui est le vôtre est essentiel pour le pays et il est exigeant. Cet Évangile, de Marthe et de Marie, qui nous invite à prendre la mesure de l’importance et de l’utilité du service, de chacun de nos services, là où nous sommes, tels que nous sommes, au front ou en soutien, nous sentons qu’il a besoin d’un ressourcement, d’une perspective, d’une finalité.

Nous ne pouvons pas être accaparés, asphyxiés, englués, par le quotidien des tâches que nous ne pouvons accomplir dans toute sa beauté et sa force que si nous sommes habités par la perspective de l’essentiel. Et la figure de Marie est ici magnifique, elle qui écoute aux pieds du Seigneur. Dans un premier temps, nous pourrions dire qu’elle a un peu choisi la facilité et que c’est tellement facile d’être assis et d’écouter, là ou d’autres s’agitent à la cuisine. Écouter est en réalité le lieu d’une conversion fondamentale. Qu’il est difficile d’écouter, de s’écouter soi-même, d’écouter les autres, d’écouter ses collègues, d’écouter le tout-autre. Notre ego et notre musique intérieure sont tels, que nous sommes si souvent dans le divertissement qui nous éparpille, là où l’écoute nous unifie. C’est par l’écoute que nous recevons, que nous accueillons l’énergie, la puissance, la lumière, l’esprit qui nous constitue et qui nous vivifie.

Écouter, c’est tellement difficile que nous pouvons tous lister chacun pour nous-mêmes toutes nos stratégies d’évitement. Et c’est vous dire combien je suis admiratif de ce que vous êtes en train de vivre, vous qui écoutez, en tout cas pour quelques instants, les propos que j’essaye d’articuler. Écouter, dans ce service qui est le vôtre, est essentiel. Et nul ne met en cause l’importance du service de Marthe.

Il nous faut aller plus loin et nous ressourcer. C’est le sens même de la célébration d’aujourd’hui. Je voudrais vous partager une arme de service spirituelle tout à fait essentielle, que j’ai en partage avec mes frères aumôniers protestants, israélites et musulmans qui sont ici et que je salue chaleureusement. Et je pense que les propos que je vais tenir maintenant, ils pourraient les tenir à ma place. Parce que nous partageons tous cette même réalité de la transcendance d’une vie reçue, qui va vers plus grand qu’elle-même.

L’usage de cette arme de service nécessite de disposer au moins de trois minutes tous les jours. Trois minutes vous savez, c’est considérable. Vous réalisez qu’avec les formidables petits écrans que nous avons tous dans notre poche, nous avons perdu une heure de sommeil depuis quinze ans. Et nous réalisons combien notre vie est tellement occupée par nos différentes responsabilités, nos vies familiales, sociales, professionnelles et par les informations formidables que ces petits écrans nous donnent en permanence, que nous en arrivons très vite à ne plus avoir une seule seconde pour nous.

Nous avons tous exactement en commun, 96 quarts d’heure par jour, 24 heures multipliés par quatre. Vous imaginez un jeu d’échecs avec 96 cases. Si vos 96 cases sont toutes remplies avec un pion, avec les multiples activités passionnantes et essentielles qui sont toutes les nôtres, à commencer par être informés à la seconde de tout ce qui se passe sur toute la planète. Sans compter les innombrables réseaux auxquels nous sommes abonnés. Si nous avons toutes nos cases prises, en réalité, nous sommes comme asphyxiés, nous sommes comme ligotés, nous n’avons plus aucune marge. Il suffit que vous retiriez un pion, un quart d’heure, pour que tout d’un coup, vous puissiez faire bouger tous les pions de votre échiquier. Que vous retrouviez une liberté, une mobilité, une autonomie.

Alors un quart d’heure, je conçois que c’est considérable et je m’en voudrais de fixer une limite aussi phénoménale, d’emblée. Trois minutes, vous avouerez que c’est plus raisonnable. Il faut savoir commencer pas-à-pas. La question est de pouvoir prendre trois minutes tous les jours. Parce que dans nos vies spirituelles, il vaut mieux trois minutes par jour, qu’une demi-heure une fois par mois.

Premier défi : trouver trois minutes tous les jours. Si vraiment vous n’y arrivez pas, parlez-en à votre responsable de brigade, à votre supérieur hiérarchique ou appelez les pompiers et le SAMU, l’asphyxie spirituelle est proche. Trois minutes pour utiliser votre arme de service que vous avez sous la main : ce sont vos cinq doigts. Très pratique, en permanence à disposition.

Premier doigt pour dire un « Notre Père », se remettre en présence du Tout-Puissant qui m’a donné la vie, qui m’a donné ce monde, ce fondamental d’une vie que je reçois et que je ne me suis pas approprié par moi-même.

Deuxième doigt pour dire un « merci ». Chaque jour, un merci différent, parce que chaque jour est différent. Merci pour une rencontre, merci pour un sourire, merci pour un oiseau, merci pour un poème. Pas un merci banal et passe-partout. Pour quelle raison, aujourd’hui précisément, je veux dire « merci » ? Rendre grâce, c’est le sens du terme eucharistie. Dire merci, pour ce que nous avons reçu. Réaliser jour après jour, combien toute notre vie est d’abord dans l’accueil de ce qui nous est offert et en prendre la mesure. Un merci chaque jour. Surtout pas deux, vous risqueriez d’exploser mon forfait de trois minutes.

Troisième doigt, un « pardon ». Il ne s’agit pas de rentrer dans tous les détails de la journée, mais de s’interroger sur la principale chose dont je vais demander pardon au Seigneur. Le plus souvent, ce n’est pas des choses que j’ai faites, c’est les choses que je n’ai pas faites. L’omission. Au début de cette célébration, nous avons dit ensemble la prière du « Je confesse à Dieu, je reconnais devant mes frères que j’ai péché en pensée, en parole, par action et par omission ». N’exagérons rien. En pensée, personne ne l’a vu, personne ne l’a entendu, ça ne sent pas mauvais, personne n’est au courant. En action, nous sommes tous très contrôlés. Peu d’entre vous, je pense, ont tué ou ont volé ce matin. En parole, là aussi nous sommes tous très bien élevés. Et en plus ce matin, il y a des micros partout. Je ne pense pas que depuis ce matin, vous ayez dit des choses véritablement qui relèvent du pénal. Par omission. Omission, c’est omettre, c’est ne pas faire. Mes amis il nous faut réaliser, que 98 % de notre péché, c’est de l’omission. Le péché, c’est quoi ? c’est une absence. Absence d’amour, absence de vie, absence de vérité, absence de justice, absence de générosité. L’absence. Le vide. Nada. Walou. Nothing. Rien. La vraie question, c’est :  en quoi est-ce que l’amour rempli de vie ? En quoi est-ce ce pourquoi je suis fait, de la manière la plus fondamentale, d’être dans le don et dans l’échange ? En quoi est-ce que je l’ai vécu aujourd’hui ?

Alors je peux reprendre très simplement ma journée. Qu’est-ce que j’ai fait ce matin, avec qui j’ai déjeuné ? Qui est-ce que j’ai vu cet après-midi ? Quel pardon est-ce que j’ai à demander ? Mes amis, nous savons tous que dans nos vies, nous avons des choses à corriger et à améliorer. Et nous avons horreur quand quelqu’un, fusse notre conjoint, fusse un collègue, fusse un ami, vienne nous le dire. « Non, mais dis-donc, tu t’es regardé ? » Qui peut nous dire avec plus de gentillesse, de tact, de diplomatie et de douceur que sur tel ou tel sujet, je ferais bien d’évoluer, que ma propre conscience ? Mes amis, quelle libération, jour après jour, de pouvoir descendre à l’intime de mon cœur et identifier les points de blocage, les points de crispation à libérer pour grandir, pour me déployer, pour accomplir ce pourquoi je suis fait.

Un « Notre-père », un « merci », un « pardon », une demande pour quelqu’un de proche ou quelqu’un de lointain, quelqu’un que je connais ou quelqu’un que je ne connais pas. Et je termine par un « Je vous salue Marie », pour nouer la gerbe. Éventuellement en formule simplifiée, je peux me contenter d’un « merci », un « pardon » et une « demande ».

Mes amis, ça s’appelle l’examen de conscience. Quelle merveille, que le Tout-Puissant en nous créant, ai déposé à l’intime de nos cœurs, une conscience qui nous dit le meilleur de ce pour quoi nous sommes faits.

Quelle merveille, que cette liberté que notre conscience nous offre avec douceur et avec force, pour déployer notre vocation la plus fondamentale. Comme gendarmes, vous êtes prêts à donner votre vie pour vos frères. Comme gendarmes, vous êtes exposés aux tensions et aux difficultés les plus sensibles de notre communauté et de notre pays. Ce ressourcement par votre confiance, par votre conscience, il est une source d’énergie vitale pour que vous ne soyez pas accaparés par les besoins du service, mais tout au contraire, que vous puissiez l’habiter parce que qui est plus intime à vous même que vous même, par cette lumière et cette flamme intérieure que tous, nous possédons.

Et encore une fois, quelles que soient nos convictions religieuses ou philosophiques, nous savons que nous sommes habités par cette merveille à l’intime de nos vies. Mes amis, puisse sainte Geneviève, qui par sa conviction et sa détermination, a sauvé Paris et en cela, accomplit cet acte qui vaut à cette ville lumière d’être aujourd’hui un phare pour le monde, plus que jamais à d’innombrables égards, en termes de liberté de pensée, de liberté d’action dans ce pays magnifique qui nous porte et qui nous forge, puisse sainte Geneviève nous aider à ne cesser d’accueillir, d’écouter, notre hôte intérieur. Celui qui, avec une infinie liberté et délicatesse, s’offre pour nous prendre par la main, pour nous donner de grandir, d’accomplir notre mission, d’accomplir notre vie dans la lumière de l’Éternel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Amen.

S.E. Mgr. Antoine de Romanet de Beaune
Evêque aux armées françaises