Homélie de Monseigneur Antoine de Romanet pour l’ordination sacerdotale d’Edwin et Nicolas

Edwin et Nicolas ont été ordonné prêtres le samedi 19 juin 2021 en la cathédrale Saint-Louis des Invalides. Retrouvez l’homélie prononcée par l’évêque aux Armées françaises à cette occasion.

Mes amis,

Les textes que nous venons d’entendre sont ceux qui sont proclamés dans toute l’Église, en ce samedi de la onzième semaine du temps de l’Église. Au début de tout itinéraire spirituel authentique, il y a la reconnaissance de ma radicale faiblesse. C’est tout le sens de la première semaine des exercices spirituels de saint Ignace ; c’est le sens de sept années de séminaire où, au fond, la seule chose qu’on apprend est qu’on ne sera jamais digne et c’est très bien ainsi ; c’est l’examen de conscience au quotidien ; c’est l’étape mensuelle du sacrement de la Réconciliation, l’étape quotidienne du « je confesse à Dieu » au début de chaque Eucharistie.

Mes amis, vous allez recevoir du Seigneur la grâce insigne de célébrer les sacrements de la Réconciliation et de l’Eucharistie, indissociablement liés. Le Pardon, cela ne peut se donner que si d’abord cela se reçoit ; cela ne peut se recevoir que si cela se donne. « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Vivre en vérité et en plénitude le sacrement de Réconciliation, c’est d’abord le recevoir pour soi-même ; c’est accepter de nommer sa radicale limite, ses ombres, ses faiblesses, ses fautes, son péché. Le pouvoir infini de pardonner les péchés ne peut s’exercer que dans la conscience de mon infinie faiblesse et de ma radicale pauvreté. Votre ordination vous donne les pouvoirs les plus fondamentaux et les devoirs les plus exigeants ; ce qui est remis entre vos mains est tellement puissant que cela ne peut porter du fruit qu’avec la prise en compte spirituelle de votre radicale faiblesse.

Lutter contre le cléricalisme, ce n’est pas d’abord s’attaquer aux institutions : c’est nous inviter à la conversion du cœur de chaque homme, pauvre et pêcheur, à commencer par le nôtre. Vous connaissez la sévérité des paroles de Jésus pour les prêtres, les scribes et les pharisiens. Nous servons un Messie crucifié, crucifié par nos péchés, crucifié par mon péché, par mon orgueil, par ma volonté de puissance. Nous sommes tous en dette de reconnaissance, et particulièrement dans le clergé. « Frères, faut-il se vanter ? ». Faut-il paraître ? Faut-il dominer ? Faut-il être reconnu ? Par qui ? Pour quoi ? Notre seul honneur est dans le Nom de Jésus et de Jésus crucifié. Et ce que je vous dis là, ce matin, Edwin et Nicolas, je me le dis, d’abord et avant tout, à moi-même.

Dans un instant, vous allez concélébrer à cet autel et, demain dimanche, vous présiderez l’Eucharistie dominicale, Edwin à l’école militaire, Nicolas à Saint-Maurice de Satory. Vous allez commencer la célébration par le « je confesse à Dieu » ; vous allez être invités, comme à chaque Eucharistie, à confesser que ce trésor de la présence réelle de notre Seigneur Jésus-Christ se fait par des vases d’argile. Mes amis, nous ne pouvons rayonner humblement la gloire du Tout-Puissant que dans la reconnaissance, vécue en vérité, de notre faiblesse pour rendre grâce au don de Dieu, célébrer l’action de grâce par excellence qui vous est confiée, cette Eucharistie remise entre vos mains.

Edwin et Nicolas, avec la grâce de cette ordination sacerdotale, vous devenez des êtres d’exception ; vous êtes des êtres d’exception ; vous accueillez des regards, à juste raison, pleins de respect et d’admiration. Vous ne pouvez accueillir cette admiration que dans la conscience extrême de votre pauvreté. Vous ne pouvez déployer votre sacerdoce qu’enracinés dans la prière des Heures, la méditation de la Parole de Dieu, l’examen de conscience quotidien, l’accompagnement spirituel reçu, la confession régulière et l’Eucharistie quotidienne. Vous ne pouvez donner et rayonner, en vérité, à vos frères que ce que vous avez d’abord reçu dans vos cœurs. C’est de votre conversion au quotidien que vous tirerez la fécondité de votre ministère, « car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

Mes amis, comme le psaume 33 vous y invite, vous êtes appelés à « bénir le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à vos lèvres ». Votre vie sera désormais dans cette sanctification de ce temps que Dieu nous donne, temps de la conversion, temps du pèlerinage, temps de notre marche vers le Salut. Vous le savez : la gestion du temps est un combat permanent. La tentation de l’utilité et de l’efficacité humaine est sans cesse présente. La prière est le lieu de la gratuité par excellence, le lieu de l’accueil de la grâce et, encore une fois, par la liturgie des Heures, la prière personnelle, la prière liturgique. Chacune de vos journées sera, plus que jamais, rythmée par la gratuité de l’unique essentiel : l’accueil du don de Dieu. « Ne cessez pas de chercher le Seigneur. Il vous délivrera de toutes vos frayeurs », comme le souligne le psalmiste.

L’Évangile de ce jour nous met devant un choix radical : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ». Cet Évangile est une extraordinaire nouvelle !

« Ne vous faites donc pas tant de souci ». Il s’agit de hiérarchiser ce qui est essentiel et ce qui est secondaire. Aucun homme ne peut servir deux maîtres, mon ego ou mon Dieu. C’est tout l’enjeu du chapitre 3 de la Genèse. L’homme est fondamentalement un être éprouvant le manque ; remis à lui-même, l’homme éprouve inquiétude, insécurité et angoisse. Nous ne nous sommes pas donné la vie à nous-mêmes et nous éprouvons une radicale précarité. L’Homme est seul sur cette terre à connaître une disproportion entre ce qu’il a maintenant et ce qu’il désire pour demain. Et le péché des origines, c’est précisément vouloir combler nos manques par nous-mêmes, en se comportant comme un accapareur, en se posant comme le maître du temps. Vouloir mettre la main sur un futur qui ne m’appartient pas. L’Homme se met à contre-courant de la vie, avec un renversement des valeurs. Lorsque la terre est organisée en royaume de l’Homme dont Dieu est exclu, ce royaume devient un monde d’angoisse, de conflits, de division, de désespoir. C’est cet Homme-là, perdu par l’angoisse du lendemain, que Jésus vient réveiller par sa Parole et rendre à la vérité de sa Création.

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ». L’argent est un excellent serviteur, un outil au service du bien commun ; l’argent est aussi un très mauvais maître avec le danger de l’esclavage, du toujours plus et du jamais assez. Il y a un asservissement qui peut être redoutable. L’argent, c’est un concentré de temps et de puissance humaine, personnifié par Mammon, l’idole par excellence. Une idole, c’est une réalité de ce monde qui passe, devant laquelle je me prosterne comme si elle était en situation de me donner le Salut. Comme prêtres, prenons conscience de ce danger mortifère ! « Malheur à vous les riches ! », nous dit l’Écriture. « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre ». « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ». Comme prêtres, il nous faut ne jamais cesser d’être attentifs à ce sujet que Jésus évoque souvent dans les Évangiles.

« Ne vous faites pas tant de soucis ». « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice ». Jésus vient nous libérer de nos soucis, de nos tracas, de nos dépendances, de nos servitudes. Il s’agit de discerner, pour sans cesse hiérarchiser les valeurs. Il s’agit d’accompagner le monde dont nous sommes partie intégrante, pour donner la priorité à l’éthique sur la technique, la priorité à la personne sur les choses. Il ne s’agit pas d’avoir moins ; il s’agit d’être plus. Il s’agit de ne cesser de témoigner par notre existence, par nos paroles et par nos actes, que l’essentiel c’est cette vie, don reçu de Dieu que je ne possède pas, mais que je reçois en pure gratuité. Tout doit être au service de la vie qui vient de Dieu et qui retourne à Dieu. L’Homme selon Jésus n’est pas un insouciant : c’est quelqu’un qui est libre des soucis de ce monde, pour n’avoir que le souci du Royaume de Dieu. La pauvreté évangélique est, en ce sens, le lieu d’une formidable libération. Le seul exemple à suivre, c’est Jésus, entièrement donné au vouloir de son Père, avec une absolue confiance. Les oiseaux et les lis sont des paraboles : « Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? ».

Oui, cette page d’Évangile est une formidable invitation à nous libérer de tous nos esclavages, pour en libérer nos frères, et c’est tout le sens de votre sacerdoce. « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine ». Comme vous le savez : le passé appartient à la miséricorde de Dieu et le futur à sa providence. Demain n’existe pas ; il sera réel lorsqu’il sera présent.

Edwin et Nicolas, dans un instant, nous allons célébrer ensemble le sacrifice du Christ à son Père, le Saint Sacrifice de la messe, le Seigneur Jésus réellement présent en son Corps glorieux ressuscité, la présence réelle, la réelle présence, l’Unique Essentiel, l’offrande du Salut.

Dans la ligne de cet Évangile, il est un adage libérateur avec lequel je vais conclure : dans nos vies, il ne faut s’inquiéter que de ce sur quoi nous avons prise. À bien considérer nos vies, nous avons prise sur extraordinairement peu de choses : sur notre vie spirituelle, au présent ; c’est tout et c’est déjà considérable. Mes amis, voilà qui limite considérablement nos soucis ; voilà qui focalise le lieu de l’unique combat décisif : ma vie spirituelle, aujourd’hui, ici et maintenant, ce que personne ne pourra jamais vous ravir.

Edwin et Nicolas, c’est ce que vous allez célébrer tous les jours dans le Saint Sacrifice de la messe : la présence réelle de Jésus, sa réelle présence qui vient nous libérer de tous nos esclavages et de toutes nos servitudes et nous ouvrir le chemin du Salut, cette présence réelle qui est le lieu de l’Alliance nouvelle et éternelle entre Dieu et son peuple, cette présence réelle qui est nourriture et lumière de nos corps et de nos âmes, cette présence réelle du Christ au cœur de son Église, cette présence réelle que vous êtes appelés à être jour après jour pour votre génération, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit.

Amen.