Homélie de Mgr Antoine de Romanet sur Jeanne d’Arc

Homélie de Mgr Antoine de Romanet à l’occasion de la messe dans La Chapelle du 6 janvier 2020 au cours de laquelle une relique de Jeanne d’Arc a été exposée, cent ans après sa canonisation.

 

Cette messe qui nous réunit, autour de cette année Jeanne d’Arc, est une occasion privilégiée pour prier pour la France, pour remettre en nos cœurs cet Essentiel qui nous engendre et qui nous guide.

Cet Essentiel qui nous engendre nous a été déployé dans la première lecture que nous avons entendue : Dieu n’a pas choisi ce qui est puissant aux yeux des hommes, mais ce qui est « faible » et « méprisé », pour lui apporter le salut.

Et, d’une certaine manière, c’est tout le mystère de la Nativité qui se trouve ici déployé : Dieu notre Dieu, Créateur du Ciel et de la terre, n’est pas venu à notre rencontre dans le fracas d’une colonne de gloire, armé de chevaux, harnaché de la manière la plus glorieuse. Il est venu dans la simplicité et le dénuement le plus absolu : cet Enfant de la crèche qui vient frapper à la porte de chacun de nos cœurs.

Voilà qui vient convertir le regard trop humain que nous pouvons porter sur la puissance et sur la gloire. La puissance de Dieu n’est pas celle des hommes ; elle n’est pas celle du fracas des armes. La gloire de Dieu n’est pas de ces petites gloires humaines qui peuvent jalonner une existence. C’est d’un tout autre ordre : c’est de l’ordre de Celui qui se fait proche avec la plus grande intensité

Si Jeanne d’Arc est à ce point bouleversante, c’est parce que cette bergère de Domrémy était, à l’évidence, humainement parlant, dans une situation de simplicité, pour ne pas dire de pauvreté. Et c’est habitée par plus grand qu’elle-même qu’elle va pouvoir abattre toutes les murailles et les frontières qui pouvaient la séparer du roi, pour l’approcher et lui porter un message décisif. C’est bien dans cette réalité de l’humilité que Dieu vient travailler le cœur de chaque homme et que Dieu vient travailler aussi le cœur d’une nation. Si nos existences sont simplement le déploiement de nos ambitions et de nos conceptions humaines, alors tout ceci finit à la tombe. Si la France, notre pays, n’avait pour seul objectif que de défendre ses intérêts et son pré carré, ses avantages, son histoire au sens matériel et humain strict du terme, alors cela ne pourrait se terminer que dans cette poussière appelée à recouvrir le monde.

C’est bien parce que Jeanne porte en elle-même plus qu’elle-même, c’est bien parce que, dans sa pauvreté de cœur et dans sa simplicité, elle accueille une réalité qui la dépasse totalement, qu’elle va pouvoir conduire son pays à l’impensable et à l’inimaginable à vue humaine pour regagner cette liberté et cette dignité en disciple du Christ. Et c’est bien la première question fondamentale que nous pose Jeanne, pour chacun d’entre nous et pour notre époque : est-ce que ce qui nous habite, pour nous-mêmes, pour notre pays, ce sont nos petits projets humains, ou est-ce que nous nous laissons habiter par l’immense projet de Dieu qui, d’une manière impressionnante, a fait de notre pays un peuple de saints, un terreau spirituel, labouré par des générations et des générations entières de chrétiens, qui, par l’engagement de leur existence, font de notre Hexagone un lieu à nul autre pareil d’intensité spirituelle et de témoignage pour le monde ?

Oui, la France, fille aînée de l’Église, cela traduit une réalité spirituelle décisive, dont Jeanne d’Arc fait partiede la manière la plus forte, de ce pays qui, génération après génération, accueillant plus que lui-même, a pu dans les moments les plus décisifs de son histoire se mobiliser pour que son idéal puisse triompher.

Si la Nativité éclaire la première lecture que nous avons entendue, c’est le mystère de Pâques et de la Croix qui est tout entier porté par l’Évangile : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

La Croix, c’est ce lieu de retournement fondamental de l’histoire de l’humanité ; la Croix, c’est ce gond de l’histoire où l’humanité, marquée par le péché, marquée par la volonté de puissance et par la volonté de domination qui vient s’abattre sur les épaules du Christ, rencontre le Messie, le Fils bien-aimé du Père, Jésus-Christ, Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, qui, dans une dépossession totale de lui-même, se donne totalement à la volonté de Dieu. La Croix, c’est ce lieu de retournement où le NON, l’opposition d’Adam, se tourne en un OUI absolu et éternel, le OUI du Fils bien-aimé, le OUI dans lequel nous sommes invités à rentrer, chacun, personnellement.

Cette Croix, elle est le signe de ces choix décisifs qui sont à faire dans l’histoire de chacune de nos vies et dans l’histoire de notre pays. La Croix, c’est ce moment où, pour gagner l’Essentiel, on accepte de perdre toute autre considération, à commencer par sa propre vie. Et les armées, qui sont habitées par cette réalité du sacrifice suprême, savent mieux que personne ce que signifie engager sa vie pour un idéal qui les dépasse. Nous voyons combien, dans l’existence d’un pays comme dans l’existence de chacune de nos vies, il est des Croix, au sens de choix décisif, qui emportent toute autre considération, qui nous conduisent à tout abandonner pour le Christ, pour l’idéal évangélique qu’il met dans nos cœurs, pour la défense de ce qui nous est le plus cher et le plus essentiel.

Parce que, ne nous y trompons pas et c’est une évidence, ce que nous marquons dans cette mémoire de Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France, ce n’est pas un combat fait du fracas des armes : c’est un combat spirituel. Et si Jeanne a été victorieuse, c’est parce qu’elle s’est laissée habitée par plus grand qu’elle-même ; c’est parce qu’elle a laissé la place à l’Esprit du Seigneur ; c’est parce que c’est au cœur de nos pauvretés que le Seigneur peut réaliser une œuvre immense, parce que nous Lui laissons prendre notre cœur de la manière la plus forte. Jeanne d’Arc nous dit d’une manière bouleversante, pour notre époque, combien nous sommes sans cesse invités à avoir les yeux fixés sur le Christ, combien nous sommes invités à choisir et à rechoisir l’Essentiel de la suite du Christ, par son Évangile, jour après jour. Ce que Jeanne d’Arc vient nous dire de la manière la plus essentielle, la plus forte et la plus contemporaine, c’est que c’est dans cette alliance de la confiance et de l’humilité, c’est dans la reconnaissance de notre pauvreté et de notre faiblesse que nous pouvons nous laisser habiter par l’Esprit du Seigneur.

C’est Lui qui est vainqueur en toute chose et pour l’éternité qu’il peut offrir à chacun de nous. C’est lui qui est aussi vainqueur dans une nation, dont les enfants sont rassemblés par l’Unique Essentiel.

Puisse-t-il en être ainsi pour notre pays, pour chacun d’entre nous et pour notre époque, éclairés par Jeanne d’Arc qui ne cesse de nous conduire vers l’Essentiel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Amen.