« Revenez à moi de tout votre cœur »

Homélie de Mgr Antoine de Romanet pour le mercredi des Cendres.

Cendres
Les textes de la Parole de Dieu, qui nous sont offerts en ce mercredi des Cendres, sont une merveille d’équilibre et de profondeur. Il s’agit d’écouter et d’accueillir la Vie de Dieu, la Parole de Dieu, le salut de Dieu. TOUT VIENT DE DIEU. Le Carême n’est pas un temps où nous faisons des choses en plus à partir de nous-même. Notre vie n’a pas son origine en nous-même. Nous accueillons la vie qui vient de Dieu par la bonne nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus. Il s’agit de se laisser être sauvé par la puissance du Christ. Mes amis dans cette célébration qui nous réunit c’est le Christ qui agit, dans la puissance de sa parole, dans la puissance de gestes concrets habités par son Esprit, dans la puissance de son Eucharistie. Jésus en s’offrant à son Père nous offre d’être unis à son offrande et de devenir nous aussi des offrandes saintes. La Pâques de Jésus n’est pas un événement du passé. La Pâques de Jésus, ce passage de ce monde vers le Père, il nous est offert à chacun, aujourd’hui, à sa suite. Ce dont il s’agit, c’est d’articuler notre corps et notre esprit, à la fois concrètement et discrètement.

 

Ce début du Carême – cette célébration des Cendres – nous rappelle combien le spirituel se dit toujours d’une manière sensible : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! ». Le spirituel se dit d’une manière sensible, parce que nous sommes un esprit dans un corps, que notre corps et notre esprit ne font qu’un. Notre corps est l’expression par lequel se déploie la réalité de notre vie spirituelle. Nous comprenons bien que le sensible renvoie toujours à une dimension spirituelle, qui est le seul essentiel : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ! ». Jésus ne cesse d’insister dans l’Evangile sur le fait qu’il ne s’agit pas de poser des actes extérieurs : il s’agit toujours de la vérité de notre cœur. « Si tu vas porter ton offrande à l’autel et que tu réalises que tu as un différend avec ton frère, pose là ton offrande, va te réconcilier avec ton frère et puis reviens ». Nous avons besoin de signes sensibles ; nous mesurons qu’ils renvoient tous à la dimension spirituelle, la plus essentielle. Cela se vit dans l’articulation du concret et du secret auquel la Christ nous invite. Poser des actes concrets, en garder le secret, pour leur donner leur vraie dynamique spirituelle. Et Jésus de poursuivre en articulant les trois dimensions de l’aumône, de la prière et du jeûne.

L’aumône, c’est la dimension du partage, la relation avec les autres. La prière, c’est la relation avec le Seigneur. Et la pénitence, c’est la relation avec moi-même. Nous sentons l’importance décisive d’articuler ces trois dimensions. Nous sentons combien ne se centrer que sur la dimension du partage pourrait nous entraîner à vouloir « faire », d’une manière extérieure. Ne se centrer que sur la dimension de la prière pourrait nous entraîner à une sorte de mysticisme « hors sol », bien loin du grand commandement de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. La pénitence, La pénitence, vécue isolément, pourrait être un lieu d’héroïsme ou de stoïcisme, avec un bénéfice secondaire de perdre quelques kilos superflus, où nous contemplerions notre capacité à mobiliser notre volonté, en tout cas sur quarante jours. C’est bien ces trois dimensions du partage, de la prière et de la pénitence qu’il convient d’associer comme le lieu de l’accueil fondamental de ma vulnérabilité, de ma pauvreté.

Partager, ce n’est pas d’abord donner : c’est avoir la simplicité de recevoir, d’accueillir, d’écouter, de me laisser féconder, de reconnaître dans l’autre qui me fait face une personne qui a à m’enrichir de ce qu’elle vit, au-delà de ses détresses. Partager, c’est d’abord reconnaître ma vulnérabilité, qui seule me permet authentiquement d’ouvrir mon cœur à la vulnérabilité de l’autre. Il ne s’agit jamais d’être en surplomb : il s’agit toujours d’être un mendiant et un pauvre de ce que mon frère a à m’offrir, et ainsi de lui permettre de déployer toute sa dignité. Il s’agit aussi de réaliser que le partage dans la charité rend l’homme plus humain, alors que l’accumulation risque de l’abrutir, en l’enfermant dans son propre égoïsme.

 

La prière n’est pas d’abord une suite de mots, de rituels ou de demandes – le Seigneur sait mieux que nous ce dont nous avons besoin – : c’est d’abord la vulnérabilité que j’accepte de reconnaître face à mon Dieu. « Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu ». Prier, c’est d’abord écouter, se laisser toucher, se laisser impressionner, réaliser sa vulnérabilité fondamentale qui permet à la Parole de Dieu de venir pénétrer mon cœur, de le transformer, de le convertir.

 

La pénitence, ce ne sont pas d’abord des actes que je pose dans l’héroïsme de quelques jours. C’est la reconnaissance de ma radicale pauvreté, de ma vulnérabilité dans ma dimension physique première, dans les esclavages qui sont les miens et dont je sens que je suis invité à les couper sur tel ou tel aspect. Accueillir, reconnaître, réaliser notre radicale vulnérabilité : voilà bien l’enjeu des trois dimensions du Carême, dans le partage, la prière et la pénitence. Reconnaître que tout vient du Seigneur.

 

Ne pensons pas que le jeûne, la prière et la pénitence puissent nous obtenir des mérites par nous-mêmes. On n’achète pas le don de Dieu. Il s’agit d’ouvrir son cœur, de se laisser toucher en profondeur, d’entrer dans une dynamique de conversion. L’enjeu, c’est celui de notre liberté spirituelle. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » : lorsque je reconnais ma pauvreté et ma vulnérabilité, c’est alors que je suis en vérité et c’est alors que je peux être moi-même, grandir et porter du fruit sous le regard du Seigneur. C’est le Seigneur qui nous donne un cœur nouveau ; c’est le Seigneur qui met en nous un Esprit nouveau. Et ce dont il s’agit c’est d’ouvrir notre cœur au don gratuit de Dieu. Oui, « c’est maintenant le moment favorable » : c’est maintenant, c’est aujourd’hui « le jour du salut ».

 

Donne-nous, Seigneur, un cœur nouveau, mets-en nous, Seigneur, un esprit nouveau !

 

Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.