Jean-Christophe Fromantin et Antoine de Romanet : « La fraternité ou la mort »

Le maire de Neuilly et l’évêque aux Armées font une lecture de l’encyclique « Fratelli tutti » du pape François face aux enjeux du monde contemporain.

Pape FrançoisDans l’hebdomadaire La Vie, Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, et Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées, ont signé cette tribune publiée le 20 novembre 2020.

« L’intelligence peut scruter la réalité des choses à travers la réflexion, l’expérience ou le dialogue, pour reconnaître, dans cette réalité qui la transcende, le fondement de certaines exigences morales universelles. » Dans son encyclique Fratelli tutti, le pape François alerte. Il rappelle l’unité de destin qui nous lie et l’enjeu de fraternité qu’appellent nos interdépendances. Il interpelle sur les responsabilités individuelles. Il renouvelle l’appel à la gratuité, composante majeure de la fraternité, dont Benoît XVI avait déjà rappelé l’urgence dans sa lettre encyclique Caritas in veritate.

Les fragilités de notre monde

En quelques décennies notre planète s’est consumée dans des proportions qu’aucun millénaire n’avait jamais atteintes. Entamant la matière jusqu’à détériorer les substrats culturels que la géographie avait patiemment façonnés. Creusant des failles profondes entre les peuples à la mesure d’un développement asymétrique, injuste, souvent source de conflits très durs. « Gavés de connexions (…) et prisonniers de la virtualité jusqu’à en perdre le goût et la saveur du réel. » Et pourtant. Le pape ne se résigne pas. Il fait le pari de la vérité. Le pari des hommes. Le pari de la Terre. Le pari des cultures. Il réfute un monde monochromatique dont l’absence d’aspérités participe de l’accélération des réussites comme de la diffusion des épidémies ; d’une perte de dignité pour tous ceux qui n’entrent pas dans les canons d’un monde lisse, parfait et performant. Il revendique l’altérité en liant intimement le pacte social au pacte culturel. Il appelle à résister au rythme infernal d’un monde qui écrase tout sur son passage livrant l’humanité à la loi du plus fort. Il pointe les fragilités. Toutes les fragilités.

« Le pape nous rappelle combien nous sommes comptables de l’inventaire et de l’avenir des richesses authentiques de notre planète. »

La fraternité ou la mort. Le pape ne laisse pas le choix. L’individualisme est une impasse. « Un véritable schisme est désormais en cours entre l’individu et la communauté humaine. » D’où son cri d’alerte qui ne cède ni à la fatalité, ni au désespoir. Confiant et constant dans ce que l’humanité peut produire de meilleur. Il dénonce l’imposture du « tout va mal » dont nous portons chacun une part de responsabilité. En nous invitant à nous questionner sur ce que nous sommes par rapport au prochain, il pose le sujet de la fraternité dans l’ordre inverse de celui que nous avons coutume d’aborder. La fraternité suppose la même disposition à recevoir qu’à donner. Il postule le caractère « artisanal » de la fraternité ; dans ce qu’elle est l’œuvre de chacun à travers ses talents et les richesses dont nous sommes dépositaires. En énumérant les risques d’appauvrissement économiques, culturels ou sociaux, auxquels aucun d’entre nous n’échappera, le pape François exhorte à la prise de conscience du bien commun ; il nous rappelle combien nous sommes comptables de l’inventaire et de l’avenir des richesses authentiques de notre planète.

Fraternité et gratuité

Les religions sont centrales dans le choc de fraternité qu’appelle le pape. « Vous savez bien à quelles brutalités peut conduire la privation de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, et comment à partir de ces blessures se forme une humanité radicalement appauvrie, parce que privée d’espérance et de référence à des idéaux. »L’agapé donne à la fraternité la place centrale. Elle en constitue le sens autant que le fondement. La gratuité ne s’entend qu’à cette condition. La déclaration du 4 février 2019 cosignée par le pape François et le grand imam d’al-Azhar – dite « déclaration d’Abu Dhabi » – rappelle opportunément que les religions sont des ponts nécessaires au renouveau de la fraternité humaine. Elles n’en sont pas les barrières. Ni les limites.

« Il appelle à ce que les innovations technologiques soient des outils de cohésion sociale plutôt que des vecteurs d’isolement ou d’entre-soi. »

Comment animer cette fraternité ? Comment l’inscrire dans un projet de société ? Au-delà des principes fondamentaux et du rôle central des religions, le pape François ouvre quelques perspectives. Il réitère l’injonction pacifique de Jean Paul II : « N’ayez pas peur ! » en nous invitant à consolider nos cultures et à renforcer le sentiment d’appartenance pour dépasser ce qui nous divise. Il convoque l’action politique en rappelant qu’elle ne doit pas se soumettre au paradigme d’efficacité de la technocratie, ni à l’économie. Qu’elle a le devoir de penser le long terme. Il ambitionne l’éducation « pour que chaque être humain puisse être artisan de son destin » en partant du principe cardinal de subsidiarité. Il appelle à ce que les innovations technologiques soient des outils de cohésion sociale plutôt que des vecteurs d’isolement ou d’entre-soi. Il nous appelle à défendre le primat culturel, au-delà de l’abstraction ou de l’idée, mais parce qu’il inclut « les envies, l’enthousiasme et une façon de vivre » qui structure les liens de fraternité d’un groupe humain. Parce qu’il lui donne aussi confiance.

Contre la résignation, des pistes pour demain

Le pape François pose des jalons essentiels. Les éclats prophétiques de son encyclique ouvrent des pistes cohérentes pour répondre aux multiples fragilités qui se révèlent chaque jour aux quatre coins du monde. Ces fragilités s’agrègent dans des crises à répétition ; elles se rejoignent, s’amplifient et se sédimentent ; elles engendrent des défiances, des haines ou des révoltes qui s’enkystent au plus profond des sociétés et des consciences. Alors que beaucoup cèdent à la résignation, aux solutions de court terme ou cherchent les boucs émissaires, le pape ose la fraternité. Face à la complexité des crises, il oppose une confiance absolue en l’homme. Il trace une espérance.